
Législation en France et dans le monde
Conservation des ovocytes : qu'en dit la loi ?
La toute récente loi sur la bioéthique en France intègre la question de la conservation des ovocytes - autorisée pour raison non médicale depuis juillet 2021 ! Dans cet article on rappel a ce qui était autorisé jusqu'à cette fameuse mise à jour de la loi en 2021, et ce qui a aujourd'hui changé.
On est aussi allé voir comment ça se passe ailleurs : les législations de certains pays d'Europe sont bien plus souples que la législation française.
Rappel de la loi jusqu'à l'été 2021 (encore en application, tant que les décrets de la nouvelle loi ne sont pas mis en application, ce qui peut prendre... quelques années !)
Dans la loi de Bioéthique du 7 juillet 2011, et ses textes d’application (décret n°2015-1281 du 13 octobre 2015, et arrêté du 24 décembre 2015 du Ministère des Affaires Sociales, de la Santé et des Droits des Femmes), on trouvait deux conditions permettant la congélation des ovocytes en France:
- Si un traitement médical ou une maladie risque d’altérer votre fertilité (par exemple la chimiothérapie, l’endométriose sévère, ou la chirurgie de changement de sexe), vous pouvez bénéficier d'une auto-conservation « en vue de la réalisation ultérieure d’une assistance médicale à la procréation »
- En cas de don d’ovocytes. Eh oui, depuis 2015, les donneuses d’ovocytes ont le droit de conserver une partie de leurs ovocytes donnés pour les utiliser plus tard si elles le souhaitent, et ce jusqu’à leurs 43 ans.
La conservation des ovocytes a donc été autorisée dans certains cas. C’est un pied dans la porte de la légalisation qui semble amener vers l’acceptation de la pratique.
L’année 2021 a été clé pour l’évolution de la bioéthique dans le pays. Elle assouplie le cadre des différentes techniques d’assistance médicale à la procréation (AMP).
Pour comprendre l’histoire de la législation française, un petit retour en arrière s’impose.
Petit historique de la législation
1994 : premières lois de bioéthique (exemple : utilisation de produits du corps humains).
2004 : premières lois de bioéthique incluant l’AMP.
2011: révision des lois de bioéthique.
2018 : ouverture des Etats généraux de la bioéthique (les lois sur la bioéthique sont révisées tous les 7 ans).
Octobre 2019 : projet de la révision des lois de bioéthique adopté en première lecture à l’assemblée nationale.
Janvier 2020: début des débats au Sénat.
Février 2020 : Des modifications majeurs et ajouts sont apportés au texte par le Sénat. Il adopte le projet de loi modifié, 153 voix contre 143. Le projet ainsi modifié est renvoyé devant l’Assemblée Nationale.
Juillet 2020: Modifications et ajouts, puis adoption en deuxième lecture du projet de loi relatif à la bioéthique par l’Assemblée Nationale. Le projet ainsi modifié est renvoyé en 2e lecture devant le Sénat.
Février 2021 : 2e lecture par le Sénat.
Un beau jour en 2021: promulgation de la loi

Quelques bases pour comprendre la législation française
Pour comprendre la législation, il faut comprendre ce qu’on estime légitime, ou non, d’être offert à l’ensemble de la société en France. D’après Löwy, la législation actuelle sur l’AMP est légitimée par une idée conservatrice que la parentalité devrait être « naturelle ». C’est à dire que, dans l’intérêt de l’enfant, avoir une mère et un père avec lesquels on partage des liens biologiques serait un droit. C’est selon cette idée que l’aide médicale à la procréation est remboursée par la Sécurité Sociale et fait partie du système de santé financé par la société. « Un homme et une femme en âge de procréer » ont donc droit à l’AMP.
Que change la nouvelle loi pour l’auto-conservation des ovocytes ?
Beaucoup de choses !
On vous résume tout ce qu'il faut en retenir.
Certaines de ces mesures (les questions d'âge notamment) ne sont pas encore définitives et doivent être rediscutées et validées par décret.
Ouvert aux hommes et aux femmes
Dans la nouvelle loi, le gouvernement ouvre la possibilité d’auto-conserver ses gamètes aux femmes et aux hommes sans motif médical.
Il demande qu’elle soit encadrée par des conditions strictes d’accès, notamment en termes de limites d’âge.
Cela rejoint l’avis rendu en 2018 du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), favorable à la possibilité de "proposer, sans l’encourager" la congélation d'ovocytes à toutes les femmes .
Dans ce cas là, l’auto-conservation permise par le don d’ovocytes sera à priori supprimée.

Le Sénat étant plus conservateur que l’Assemblée, la loi a cependant peu de chance d’être votée telle quelle.
Si jamais vous vouliez lire l’étude d'impact en entier, elle est dispo sur le site de l'Assemblée.
Entre 32 et 37 ans chez les femmes, 32 et 45 chez les hommes
Dans les faits, le gouvernement estime que l’auto-conservation doit pouvoir être autorisée entre 32 et 37 ans pour les femmes, et 32 et 45 ans pour les hommes. Avant 32 ans, la balance bénéfice/risque n’est pas favorable, alors que la femme a encore toutes les chances d’avoir un enfant naturellement. D’après le texte, après 37 ans, le risque d’échec est trop important et la démarche jugée trop lourde, créant de faux espoirs chez les femmes concernées.
Quant à l’utilisation des gamètes, il la fixe à 43 ans pour les femmes, et 59 ans pour les hommes.
Des bornes d'âge définitives seront posées par décret.
Eh oui, ça concerne aussi les hommes, pour la congélation du sperme.
Cette inégalité de traitement homme/femme en termes d’âge limite se discute !!!
Voir l‘article Le genre de la fertilité.

Pas d’incitation marketing
Seuls les centres publics et privés à but non lucratifs seraient autorisés à l’effectuer pour éviter les dérives motivées par le profit et que des pressions marketing pèsent sur les femmes. Le but n’est pas d’inciter les femmes à avoir recours à cette procédure, mais de l’autoriser pour toutes celles qui le demandent.
Ces éléments peuvent évoluer par décret.
Une prise en charge partielle par l’Assurance Maladie
Si c’était le cas, ce serait le seul pays en Europe ! Le gouvernement le justifie en expliquant que l’auto-conservation fait partie d’une médecine préventive. En gros, y avoir recours améliore le taux de réussite de l’AMP et évite la multiplication de tentatives de FIV infructueuses plus tard. Ce serait donc moins lourd pour la santé de la femme. Ce serait aussi moins lourd financièrement pour la société, puisque ça limiterait le nombre de FIV futures financées par l’Assurance Maladie.
En revanche, le coût annuel de la conservation restera aux frais des patients et patientes.
Plus d’auto-conservation liée au don
Le don continuerait à exister, mais sans contrepartie pour être plus éthique. Cela ne devrait pas limiter le stock de don, car celles et ceux qui n’auront finalement pas recours à leurs gamètes précédemment congelées pour soi (la majorité des cas) auront la possibilité d’en faire don.
Enfin, le recueil du consentement du conjoint du donneur de gamètes est supprimé.
Quelles sont les recommandations pour sa mise en pratique ?
L’Académie de Médecine avait émis plusieurs recommandations dans son rapport de juin 2017. On l’a épluché et en voici les grandes lignes. Le comité demande :
1) Une bonne information des femmes sur les risques d’échecs ou de complications, les risques de grossesses tardives, et les chances de succès, qui n’est pas garanti.
2) Qu’on prodigue des conseils loyaux et détaillés aux femmes en leur laissant un délai de réflexion.
3) Que l’auto-conservation permise par le don soit remise en question.
4) Que les médecins puissent vérifier que les femmes ne subissent pas de pressions professionnelles pour faire ce choix.
5) Que les femmes et les hommes soient informées avant 35 ans de l’évolution de leur fertilité.
6) Qu’une limite d’âge soit fixée ou recommandée : avant 35 ans pour la ponction, et pour une utilisation avant 43 ou 45 ans.
7) Qu’un suivi à long terme des mères et des enfants issues de l’auto-conservation soit effectué.
Les débats au Parlement qui ont mené à cette loi
Quand la loi est passée devant l’Assemblée à l’été 2020, 2 300 amendements ont été déposés, dont plus de la moitié venait des Républicains.
En janvier 2020 la loi avait fait son premier passage devant le Sénat. A la surprise générale, la possibilité d’auto-conservation avait été rejetée dans son intégralité. Le vote s’était pourtant joué à très peu de choses. Le décompte des voix ? 119 pour, 119 contre.
Le texte de loi adopté en deuxième lecture par l’Assemblée a lui revoté un texte similaire au premier. Un seul changement lié à l’autoconservation : la possibilité sous conditions à des centres privés à but lucratif de conserver les gamètes, si aucun organisme public n’est disponible.
Ses défenseurs pointent au contraire du doigt qu’il s’agit uniquement d’ouvrir la possibilité d’un droit aux femmes, qui existe déjà dans les pays frontaliers, auquel les femmes qui en ont les moyens ont déjà recours. Ils rappellent que l’ouverture pourrait par ailleurs nourrir la réserve d’ovocytes disponibles en France pour les femmes infertiles, qui permet de bien meilleurs résultats qu’un recours à la FIV seul. Ils répondent aux craintes exprimées que le scénario américain n’est pas possible en France, puisqu’il est justement la conséquence d’une absence totale de régulation ou de prise en charge par les autorités américaines.
Le 4 février 2021 a eu lieu la 2e lecture au Sénat. A nouveau, la possibilité des conserver ses ovocytes pour raison non médicale a été rejetée, de même que l'article phare de la loi autorisant la PMA pour toutes.
Lors de la dernière étape en juillet 2021, une commission mixte paritaire s'est réunie et c'est finalement cette loi finale qui a été votée.
Qu'en est-il de la législation dans le reste du monde ? Découvrez la législation de quelques uns de nos voisins dans l'article ci-dessous.
Un des principaux arguments des réticents était la crainte que les femmes subissent de nouvelles pressions suite à l’ouverture de cette possibilité. L’exemple des Etats-Unis revient souvent pour appuyer cet argument, puisque certaines entreprises y prennent en charge l’opération, ce qui pourrait conduire à ce que les femmes se sentent forcées de repousser leur grossesse même si elles souhaitaient tomber enceinte plus tôt.
Des pressions ? Faites aux femmes ? Connait pas.

Un article de Marie Brière de la Hosseraye
Mise à jour septembre 2021
"The Ultimate Guide To IVF And Egg Donation In Czech Republic". Eggdonationfriends.Com, 2021, https://www.eggdonationfriends.com/ivf-egg-donation-country-czech-republic/. Lu 21 janvier 2021.
Anderson RA, Davies MC, Lavery SA, on behalf of the Royal College of Obstetricians and Gynaecologists. Elective Egg Freezing for Non-Medical Reasons. Scientific Impact Paper No. 63. BJOG 2020;127:e113–e121.
Comité consultatif national d'éthique (CCNE), avis n° 67, 27 janvier 2000

Sources
Assemblée nationale : Etude d’impact sur le projet de loi relatif à la bioéthique, 24 juillet 2019.
Agence de la biomédecine : Rapport sur l’application de la loi de bioéthique, janvier 2018, p. 56-57.
Étude du Conseil d’État : « Révision de la loi de bioéthique : quelles options pour demain ? », 28 juin 2018, p. 150-190.
Comité consultatif national d'éthique (CCNE), avis n° 129 : « Contribution du Comité consultatif national d'éthique à la révision de la loi de bioéthique », septembre 2018, p.56
Milliez Jacques. « La conservation des ovocytes » Bull. Acad. Natle Méd., 2017, 201, nos 4-5-6, 549-565, séance du 13 juin 2017
Couturier Daniel. Bulletin de l’Académie Nationale de Médecine, 2017, 201, nos 4-5-6.
Rimon-Zarfaty, N. et Schweda, M. (2019). Horloges biologiques, horaires biographiques et cycles générationnels: la temporalité dans l'éthique de la procréation assistée. Bioethica Forum, 11 (4): 133-141.
"Egg Donor Database | Find Egg Donors & Browse Egg Donor Profiles". Egg Donor America, 2021, https://www.eggdonoramerica.com/parents/egg-donor-program/egg-donor-database. Lu le 1 Feb 2021.
Löwy, Ilana. « La fabrication du naturel : l'assistance médicale à la procréation dans une perspective comparée », Tumultes, vol. 26, no. 1, 2006, pp. 35-55.
Vignal, Francois. « Bioéthique : De Retour Au Sénat, Le Projet De Loi Adopté En Commission ». Public Senat, 19 janvier 2021, Paris.
de La Rochebrochard, Élise et Rozée Virgine. « Évolution de la loi de bioéthique française : éléments de discussion à partir des recherches menées sur l’AMP à l’Ined », Paris, INED, 2019, 253.
Commission spéciale du Sénat. Rapport sur le projet de loi relatif à la bioéthique n° 237 (2019-2020), Paris, 2020.
"Institut Marquès A Italia - Institut Marquès". Institut Marquès, 2021, https://institutomarques.com/fr/qui-sommes-nous/installations/institut-marques-italia/. Lu le 20 janvier 2021.
Dussaut Andrée-Marie. « Entre le Tessin et l’Italie, les flux de la procréation assistée se sont inversés », Le Temps, Lausanne, 12 janvier 2017.
Loup Besmond de Senneville. « Bioéthique au Sénat : rejet surprise de la congélation des ovocytes », La Croix, Paris, 23 janvier 2020.
Perrin Dominique. « De nombreux gynécologues contournent la législation sur la congélation des ovocytes », Le Monde, Paris, 2 mars 2018.
Nationale, Assemblée. "Bioéthique (No 3181) Amendement N°1222 - Assemblée Nationale". Assemblée Nationale, 2021, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/3181/AN/1222. Lu le 20 janvier 2021.
Nationale, Assemblée. "Bioéthique (No 2243) Amendement N°793 - Assemblée Nationale". Assemblée Nationale, 2021, https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/amendements/2243/AN/793. Lu le 20 janvier 2021.
"Loi Bioéthique, PMA | Vie Publique.Fr". Vie-Publique.Fr, 2020, https://www.vie-publique.fr/loi/268659-loi-bioethique-pma. Lu le 20 janvier 2021.
"Loi De Bioéthique, Quatrième Jour De Débats : « Business As Usual, Voilà Où Vous Nous Menez ! » - Gènéthique". Gènéthique, 2020, https://www.genethique.org/loi-de-bioethique-quatrieme-jour-de-debats-business-as-usual-voila-ou-vous-nous-menez/. Accessed 1 Feb 2021.
