top of page
Girls Holding Trays

Le genre de la fertilité

"Le genre de la fertilité" ? Le... quoi ?
La fertilité - est la capacité physiologique de donner naissance à des enfants vivants.
Le genre - est une lecture de la réalité conformément aux rapports sociaux construits à partir de la différence sexuelle.
Si la première est une donnée biologique, la deuxième est sociologique, mais dans un monde où les sciences dites « dures » sont peu discutées par les sciences sociales, réfléchir au genre de la fertilité semble essentiel.
choice_HD_lunettes.png

Le monde peut être regardé avec "des lunettes de genre".

Tous nos faits et gestes dans la société sont construits différemment suivant notre genre… notamment ce que l’on considère comme des habitudes depuis toujours. Et oui... on vient de donner la conclusion de l'article.

Est-ce que la définition de la fertilité est différente suivant le genre des personnes ? Est-ce que la fertilité ou l’infertilité affecte différemment les personnes suivant leur genre ? Est-ce que l’âge de la fertilité est différent pour les femmes et pour les hommes ?

La fertilité, un problème de femme ?

Femmes fécondables et hommes fécondants

Nous n'allons pas pas reprendre ici les cours de reproduction humaine mais plutôt réfléchir sur l’étymologie des mots utilisés pour la caractériser.

La fertilité est la capacité physiologique à se reproduire, c’est une donnée individuelle. Elle est souvent confondue avec la fécondité, qui est le fait de se reproduire. Ce terme est utilisé en démographie, pour calculer un nombre moyen d’enfants nés vivants par rapport à la population en âge de procréer.

La fécondité dépend donc du comportement des personnes souhaitant un enfant et pas uniquement de leurs aptitudes à se reproduire, elle est alors collective.

La fertilité d’un individu dans un couple peut avoir des conséquences sur la fécondité de ce couple. Pourtant, toujours en démographie, on parle de « femmes fécondables » et d’« hommes fécondants ».

Les mots utilisés sont importants. Ici, la femme est passive, elle reçoit et attend que l’homme, actif, vienne lancer le processus de fécondation. Cette croyance a façonné pendant de nombreuses années la biologie et la médecine. En réalité, l’ovocyte et les spermatozoïdes ont besoin d’être actifs ensemble pour qu’il y ait fécondation. Les biais sexistes des sciences ont des conséquences sur la manière de pratiquer la médecine et d’accompagner les personnes infertiles.

Ça vous parle cette image d’un ovocyte attendant sagement le gagnant de la course des spermatozoïdes ?

choice_HD_choquée.png

En effet, cette croyance, parmi tant d’autres (comme la masculinité sans faille par exemple), a alimenté le postulat qui fait des femmes les seules responsables d’une non fécondation. Il a fallu de nombreuses années avant que les chercheur.ses s’intéressent aux causes de l’infertilité masculine et aux solutions existantes.

Horloge biologique et horloge sociale

Alors, l’horloge biologique, invention sociale ou timing à suivre ?

Il existe bien une horloge biologique mais elle ne sonne pas toujours le jour des 35 ans !

Voir l'article l'Horloge Biologique.

Cette horloge est individuelle puisque qu’elle dépend de la réserve ovarienne de chaque personne. Cette « provision » de follicules est constituée une fois pour toute et diminue avec chaque cycle menstruel. 

Le problème avec l’utilisation du terme « horloge biologique », c’est qu’il n’est utilisé que pour les femmes et conforte les hommes dans un mythe qui les laisse imaginer pouvoir concevoir des enfants de manière illimitée.

Si l’horloge biologique existe réellement, l’horloge sociale aussi. Cette citation trouvée sur le premier site référencé par Google lorsque l’on cherche « horloge biologique femme » illustre très bien ce concept :

« Les effets de l'horloge biologique peuvent pousser une femme approchant 35 ans à devenir pressée de concevoir un enfant. »

Alors non : ce n’est pas l’horloge biologique qui presse une femme à concevoir un enfant mais bien la pression sociale. L’horloge sociale dicte les normes sociales pour concevoir un enfant ; elle s’enclenche lorsqu’une femme est dans une relation intime et stable avec un homme jusqu’à la baisse de sa fertilité supposée. Toute personne en dehors de ces normes est considérée comme déviante.

L’horloge biologique et sociale donne un ton très alarmiste alors qu’à 35 ans, 83% des femmes peuvent avoir un enfant sans AMP (Assistance Médicale à la Procréation) et à 40 ans c’est encore 67% d’entre elles qui le peuvent.

Elles en parlent : vécu et ressenti

Podcast réalisé par Lucile Marthe

C'est quoi le bon moment ?
00:00 / 01:26

"Il y a toujours matière à juger de toute façon." Lola s'agace. Trop tôt, trop tard... Pour une femme, si t'as pas pile 28 ans, un mec et un appart, c'est jamais bon.

Inscrivez-vous à la NL en bas de page pour être tenu.e informé.e de la sortie du podcast.

Si les femmes ont bel et bien une fertilité limitée dans le temps, c’est également le cas des hommes !

Les explications de la spécialiste

Pr. Nathalie Massin, Responsable du service Fertilité Check-up du Centre Hospitalier Intercommunal de Créteil​

La réalité inavouée du déclin de la fertilité masculine

L’âge des hommes n’a pas de conséquence sur la production de spermatozoïdes, qui est quotidienne, mais sur la qualité de ces spermatozoïdes (volume, mobilité, morphologie). Une réalité qui a de grandes conséquences sur les possibilités de concevoir d’un couple hétérosexuel ; on estime que les chances pour l’homme d’avoir un enfant baissent de 2% chaque année, dès 25 ans.

La volonté de maitriser la fertilité remonte au début de l’histoire humaine mais c’est seulement depuis l’arrivée de l’AMP que les scientifiques s’intéressent – s’inquiètent - de la fertilité masculine. Pourtant, les récentes études montrent une baisse généralisée de cette dernière.

Cette baisse est-elle nouvelle ? Ou est-ce seulement qu’on ne s’y intéressait pas avant ?

choice_HD_triste-cheveux.png

Cette baisse est majoritairement attribuée aux perturbateurs endocriniens comme le montre les récentes enquêtes de Santé Publique (2018). Cependant, ces enquêtes rencontrent de nombreuses limites dues aux faibles données disponibles empêchant de réaliser des comparaisons. Aujourd’hui il est donc impossible d’attribuer la baisse de la fertilité aux perturbateurs endocriniens plus qu’à l’âge des sujets.

A cela s’ajoute le taux d’anomalie chromosomique des fœtus qui augmente avec l’âge du père en proportion semblable à celle de la mère. Une enquête montre que les pères de 40 ans ont 6 fois plus de probabilité d’avoir des enfants avec des troubles autistique, neurologique ou d’apprentissage. Ces anomalies sont spécifiquement liées à l’âge du père au moment de la conception et l’âge de la mère n’a aucune influence. D’autres enquêtes montrent que les risques d’avoir un enfant avec un trouble borderline sont multipliés par 1,37 pour les pères de plus de 55 ans par rapport à ceux de 24 ans.

Aujourd’hui, en France, l’accès aux AMP est réservé aux couples composés d’une femme et d’un homme « en âge de procréer ». Bien que la nouvelle version de la loi de bioéthique souhaite ouvrir l’AMP aux femmes seules et aux couples lesbiens, il semblerait que donner une définition claire et non arbitraire de « l’âge de procréer », ne soit pas à l’ordre du jour. En France, l’âge de procréer pour les femmes est de 43 ans, alors que celui des hommes est de 59 ans !

L’effacement des femmes vieillissantes contre la valorisation des grisonnants

Féminité à durée déterminée

 

Si le vieillissement des ovocytes et des spermatozoïdes complique la fécondité du couple, pourquoi l’âge des femmes est-il le critère le plus important dans l’accompagnement vers l’AMP ?

Les arguments souvent avancés sont les suivants :

- « Après 40 ans les risques pour la santé des femmes sont plus grands » ; pourtant les risques sont limités et consentis. A l’inverse, la société valorise les activités sportives et dangereuses pour les hommes, malgré les risques qu’elles peuvent avoir sur leur santé. Le contrôle du corps et des choix des femmes sont également présents à travers le contrôle social (et médical) qu’il y a sur la consommation d’alcool ou de substances psychoactives chez les femmes enceintes ou allaitantes. Pourtant nos sociétés sont plutôt laxistes sur les comportements alimentaires peu sains (surconsommation de soda, d’aliments sucrés ou d’origine animale) qui entrainent de plus graves problèmes de santé publique et mettent à mal la planète.

- « L’enfant risque d’être orphelin avant sa majorité » ; cet argument n’est pas utilisé pour limiter l’âge de la paternité. D’autant plus que l’espérance de vie ne cesse d’augmenter, respectivement 85,6 ans pour les femmes et 79,7 ans pour les hommes. Se préoccuper uniquement de l’âge de la mère revient à renforcer un modèle où la part de soin et d’éducation de l’enfant revient à elle et elle seule.

Dans des pays, aux réalités sociales et de marché différents, la définition du « en âge de procréer » n’est pas la même. Aux Etats-Unis et en Israël il est possible de recevoir un don d’ovocyte à plus de 50 ans ! En faisant des FIV, ces femmes prennent plus de risque pour leur santé et peuvent avoir des grossesses plus compliquées, mais la probabilité d’être enceinte, de mener la grossesse à terme et d’accoucher d’un enfant en bonne santé est la même que pour les femmes plus jeunes. L’asymétrie entre l’âge de procréer des femmes et des hommes est alors gommée.

La France, essaye de reproduire les codes d’une conception naturelle tout en conservant les a priori suivants : la fertilité féminine est fragile et limitée alors que la fertilité masculine est stable et illimitée. A cela s’ajoute d’autres faits culturels : l’importance des mères pour les enfants en bas âge et l’importance du contrôle de la fertilité des femmes.

C’est un beau paradoxe quand on sait à quel point la technologie médicale est complexe et artificielle pour permettre aux personnes infertiles de procréer.

Une autre explication est possible ; l’invisibilité des femmes âgées dans l’espace public, médiatique et culturel. Lorsque l’on pense « âgées », on pense plus de 45 ans, parce qu’une femme devient âgée dès qu’elle ne peut plus concevoir d’enfant naturellement, elle passe de la catégorie utile à inutile.

Cette impression de disparition est expliquée par Mona Chollet dans son ouvrage Sorcière parut en 2018. Notre perception de l’âge et du temps qui passe n’est pas la même lorsqu’elle concerne un homme ou une femme. Pourtant les années filent sur le corps de l’un comme de l’autre. On pourrait même dire qu’il est plus clément avec les femmes qui vivent plus longtemps et en meilleure santé que les hommes.

L’image d’une femme avec les cheveux grisonnants et quelques rides autour des yeux qui donne le sein dans l’espace public choque, alors que Mick Jagger affiche, triomphant, son 8e enfant en 2016 (il a alors 73 ans et est déjà arrière-grand-père) !

choice_HD_choquée.png

La société nous laisse penser que la masculinité est indépendante de l’âge alors que la féminité est incompatible avec le vieillissement. C’est une réalité culturelle qui sélectionne des différences biologiques entre les deux genres en en valorisant certaines et en dévalorisant les autres.

Je vous laisse deviner celles  qui sont valorisées…

choice_HD_masque.png

Masculinité à durée indéterminée

 

Carrie Fisher disait, en 2015, à propos de son rôle dans les derniers Star Wars « Les hommes ne vieillissent pas mieux que les femmes ; ils ont seulement l’autorisation de vieillir ».

 

En effet, le déclin de la fertilité apparait plus tôt chez les femmes que chez les hommes, c’est un fait biologique que l’horloge biologique/sociale nous rappelle régulièrement. Pourtant, le fait que les femmes vivent plus longtemps et en meilleure santé que les hommes ne semble pas être un argument pour retarder le temps de la maternité. Dans le même ordre d’esprit, le déclin de la fertilité féminine est sur le devant de la scène alors que la baisse de qualité des spermatozoïdes est inexistante dans le débat public. Est-ce que cela signifie que le déclin de la fertilité est plus grave que d’avoir des enfants avec des problèmes de santé dus à l’âge du père ?

 

Cette sélection ainsi que la hiérarchisation des faits biologiques montrent que notre perception de l’âge de procréer est construite socialement.

Récapitulons

La fertilité est propre à chaque individu (indifféremment de son genre) et décline avec le temps. Pourtant, il parait évident que les répercussions de ce déclin n’ont pas les même effets sur les femmes que sur les hommes. Après avoir été un temps considérées comme seules responsables de la non fécondité d’un couple, les femmes sont aujourd'hui exposées à une autre forme de contrôle social et médical. Bien que la fertilité soit une donnée individuelle et biologique, les nouvelles techniques d’AMP viennent bousculer sa définition. Si les limites de l’âge de la fertilité sont bousculées par la technologie médicale, les limites culturelles, elles, restent encore bien ancrées.

Un article de Delphine Julienne

Dictionnaire démographique multilingue.

Bujan, L. (2019). Réflexions sur la notion d’âge de la procréation. Laennec, Tome 67(3), 6‑17.

https://doi.org/10.3917/lae.

Martin E., « The egg and the sperm : How science has constructed a romance based on stereotypical male-female roles », Signs, 16,3,1991, pp. 485-501.

choice_HD_lunettes.png

Sources

Théry I. 2010. Des humains comme les autres. Bioéthique, anonymat et genre du don, Paris, éditions de l’EHESS.

Winckler M. 2016. Les brutes en blanc, op. cit

Ford, W C et al. “Increasing paternal age is associated with delayed conception in a large population of fertile couples: evidence for declining fecundity in older men. The ALSPAC Study Team (Avon Longitudinal Study of Pregnancy and Childhood).” Human reproduction (Oxford, England) vol. 15,8 (2000): 1703-8.

Humeau, Claude, Procréer, Histoire et représentations, Paris, Odile Jacob, 1998, p.93-94

Lalem, F. (2007). France : Liberté, autonomie, parité, un prix trop lourd à payer. Apres-demain, N ° 3, NF(3), 29‑32. https://doi.org/10.3917/apdem.003.0029

Le Moal J, Rigou A, De Crouy-Chanel P, Goria S, Rolland M, Wagner V, et al. Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire en France, dans le contexte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens : cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et qualité du sperme.

Löwy, I. (2009). L’âge limite de la maternité : Corps, biomédecine, et politique. Mouvements, n° 59(3), 102‑112. https://doi.org/10.3917/mouv.059.0102 

A. Reichnenbertg, A. Gross, M. Weiser et al., « Advanced paternal age and autism », Archives of General Psychiatry, 2006, 63 : 1026-1032 ; M.C. Miller, « Older father, autistic child », Harvard Mental Health Letter, 2006, 23 : 6-8.

Frans EM, Sandin S, Reichenberg A, Lichtenstein P, Långström N, Hultman CM. Advancing Paternal Age and Bipolar Disorder. Arch Gen Psychiatry. 2008;65(9):1034–1040.

Girls Holding Trays
bottom of page