
Childfree
L’infécondité définitive (être sans enfant après sa période de fécondité) en France est loin d’être la norme. Elle concerne 5%de la population ; elle est stable depuis les premières enquêtes sur lesujet en 1990, par le démographe Laurent Toulemon.
Childfree, c’est le terme le plus utilisé pour nommer les personnes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant. Ce mot vient des Etats-Unis car en France nous n’avons toujours pas trouvé de traduction adéquate. Certaines chercheuses utilisent le terme SEnVol (Sans Enfant Volontaire) mais la mayonnaise ne prend pas. Pourquoi nommer et caractériser les personnes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant dans une institution où la famille est si centrale ?
Avoir ou ne pas avoir d’enfant, telle est la question.

Les childfree représentent une très faible part de la société, un micro phénomène. Pourtant, les personnes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant doivent le justifier.
Elles en parlent : vécu et ressenti
Podcast réalisé par Lucile Marthe
Pour Lola, l'essentiel c'est de trouver ce qui convient à chacun.e pour dispenser de l'amour.
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Ils vécurent heureux et elle eut beaucoup d’enfants
Nous vivons dans un pays dit nataliste ; un pays qui encourage, voire qui pousse les individus à construire un couple - hétérosexuel - et à fonder une famille. La France possède un taux de fécondité très élevé en comparaison de ses voisins européens (3e place après l’Irlande et la Suède).
Les couples font plus facilement des enfants en partie grâce aux politiques favorisant l’articulation vie professionnelle - vie familiale. C’est également parce que les femmes sont encouragées à la reproduction, cette dernière étant présentée comme un besoin vital et indispensable.
« Toutes les espèces vivantes ont besoin de se reproduire »
Se reproduire est naturel, le désir d’avoir des enfants, non ; il est construit socialement. La science peut affirmer que le plaisir sexuel est naturel, puisque de nombreuses espèces vivantes le recherche, mais comment prouver que les animaux désirent procréer ?
Il est impossible pour le moment de démontrer l’existence de ce désir dans la nature. Les humains ont le choix ; on peut désirer un enfant justement parce que l’on peut aussi désirer de ne pas en avoir. Cependant, il est délicat pour les femmes de parler de choix, au sens de choix libre et éclairé. Le besoin d’un accomplissement personnel qui passe par le désir d’enfanter est insufflé dès le plus jeune âge. Culturellement, les femmes sont associées à leur organe reproducteur et à leur réalité biologique, bien plus que les hommes. Il est donc très compliqué de savoir si le désir d’enfanter relève du choix ou de la pression sociale.
Avez-vous déjà demandé à des mères de vous expliquer rationnellement pourquoi elles ont voulu être mère ? La question est déplacée et la réponse nous importe peu. Pourtant, il est plus que commun de s’enquérir de cette réponse chez les 5% qui refusent la parentalité.
La compétence de certain.e pour sélectionner des traits issus de la nature pour justifier des inégalités dans les sociétés humaines sont toujours impressionnantes. Ces mêmes personnes ne défendent pas l’homosexualité en invoquant son existence dans le monde animal, pourtant cela leur clouerait le bec !

Devoir justifier son choix
La pression sociale qui pousse les individus à concevoir est telle que les childfree sont considéré.es comme des outsiders, au sens du sociologue Howard Becker. Ils et elles s’écartent de la norme dominante et sont pointé·es du doigt par la société. La volonté de fonder une famille parait tellement innée et nécessaire, que celles et ceux qui s’en défont intriguent, inquiètent, surtout si elles sont des femmes.
Lorsqu’une femme déclare ne pas vouloir d’enfant, elle remet en cause le fait que toutes les autres en veulent et la construction de leur identité centrée sur la maternité.
La pression sociale sur les femmes qui déclarent ne pas vouloir d’enfant évolue et s’intensifie avec l’âge.
Etrangement, les hommes ne sont pas la cible de ces questions ni de ces injonctions. Les enquêtes sur les childfree montrent que les femmes réfléchissent plus tôt à leur rapport à la parentalité que les hommes. Ce phénomène s’explique par la socialisation genrée des femmes, socialisation qui passe par l’apprentissage (conscient oui conscient) des normes et valeurs attendues dans notre société, ici, la maternité. En effet, pour devenir « femme », dans notre société occidentale, il faut trouver un mari et avoir des enfants ; fonder une famille. A l’inverse, pour devenir « homme » il faut faire carrière, être indépendant financièrement et émotionnellement.
Les rôles sociaux attribués aux hommes et aux femmes sont distincts, voire diamétralement opposés. Pour les hommes, la parentalité est construite comme un projet de couple, quand la compagne voudra, ils se rangeront de son côté.
A 25 ans elles entendent dire « tu es encore jeune, tu verras quand les hormones se réveilleront », « tu n’as pas encore trouvé le bon », des phrases qui ne sont fondées sur rien mis à part la croyance en un instinct maternel et des hormones qui demanderaient à avoir le droit de se reproduire. A partir de 35 ans les remarques sont beaucoup plus offensives et pressantes : ; « tu vas le regretter », « dépêche-toi ».

Il n’est pas très loin le temps où le médecin Arétée de Cappadoce (IIe siècle) conseillait aux femmes d’être enceinte pour occuper l’utérus qui était « un animal dans l’animal ».
Ils ne sont pas acteurs de la parentalité, c'est un projet de femme. La paternité n’est plus pensée comme un objectif en soi pour les hommes, ils sont considérés comme hors-jeu des décisions, pas à l’initiative d’un désir de parentalité. L’inverse étonne, un jeune garçon qui affiche très tôt son intérêt pour la parentalité sera rapidement stigmatisé car pas assez viril.
C’est la recette simple et efficace d’une bonne société patriarcale!
Les stratégies mises en place
D’après la chercheuse Charlotte Debest, les jeunes femmes vont avoir tendance à utiliser des stratégies de contournement pour se protéger et protéger leur décision. Elles ne vont pas assumer publiquement leur choix de ne pas avoir d’enfant pour continuer à être validées comme femme aux yeux des autres. Leur « hésitation » sera justifiée par les conditions sociales et économiques dans lesquelles elles se trouvent. Après la période de fertilité, les femmes changent de stratégie ; l’évitement pour laisser planer un doute sur le caractère volontaire ou subi de l’absence d’enfant et la confrontation qui assumera publiquement la volonté de non parentalité.
Cette dernière stratégie est plus risquée mais est porteuse d’une volonté d’émancipation et de séparation avec le destin biologique des femmes.
Est-il possible de s’épanouir sans enfant ? Pour 90% des Français.es cela est impossible! Cette façon de penser peut entrainer des remarques et des critiques qui sont parfois violentes pour les childfree.
Au vue de la pression sociale qui pèse sur les personnes qui font le choix de ne pas avoir d’enfant, il est légitime de se demander si certain.es ne cèdent pas à la parentalité à cause de cette pression. Ces stratégies sont utilisées dans les relations inter personnelles, mais elles peuvent également être nécessaires dans le milieu médical.
Elles en parlent : vécu et ressenti
Podcast réalisé par Lucile Marthe
Lola présume qu'elle est fertile, et dit la difficulté à ne plus vouloir l'être.
L'épisode complet de Lola est sur le podcast de Choice, juste ici !
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La stérilisation, un moyen de contraception pas comme les autres
La stérilisation est un moyen de contraception définitif qui existe depuis 1950 mais elle était interdite en France jusqu’en 2001. 20 ans que cette pratique est légale, pourtant elle reste très peu répandue avec 4,5% de femmes qui ont recours à une ligature des trompes pour moins de 0,8% de vasectomies (stérilisation masculine) par an (soit environ 10 000).
Pourtant, d’après la World Contraceptive Use de 2017, c’est le moyen de contraception le plus utilisé dans le monde. Le faible taux de stérilisation française s’explique entre autres par les réticences du corps médical, qui favorise encore et toujours les méthodes contraceptives réversibles, surtout sur les personnes n’ayant pas encore d’enfant.
Le parcours vers une contraception définitive est décrit comme un parcours du combattant, empreint de violences symboliques et de sexisme. Pour les femmes ayant recours à la ligature des trompes, la contraception non définitive est associée à un lexique dépréciatif, faisant référence à la contrainte. Au contraire, la stérilisation est présentée comme libératrice, source d’indépendance, une prise de contrôle sur leur corps et leur fertilité.
Les femmes entamant une démarche de stérilisation doivent préparer leur argumentaire afin de convaincre les praticien·nes de réaliser l’opération. Comme pour justifier le choix de ne pas avoir d’enfant, ce sont des raisons très rationnelles qui sont mises en avant, les raisons inconscientes et psychologiques étant peu avancées (la peur de la grossesse, les histoires familiales…) car cela risquerait de se retourner contre elles.
Récapitulons
Bien que les childfree soient majoritairement des hommes, la pression et les normes de genre pèsent bien plus sur les femmes, aussi bien pour le choix de ne pas avoir d’enfant que sur les moyens mis en œuvre pour ne pas en avoir. En effet, 6,3% des hommes déclarent ne pas avoir d’enfant et ne pas en vouloir mais ils sont encore très peu nombreux à prendre en charge la contraception.
L’intérêt des médias depuis une dizaine d’années rend visible cette frange marginale de la population bien que les arguments avancés soient souvent sur-médiatisés. Une meilleure connaissance du phénomène n’empêche pas des réactions qui peuvent être très violentes envers les childfree, notamment envers les femmes.
Si elles arrivent à se détacher de la norme reproductive, elles restent bien souvent soumises à la charge contraceptive et aux regards accusateurs de la sphère sociale et médicale.
Un article de Delphine Julienne
Mise à jour mars 2021
Debest, Charlotte, Magali Mazuy, et l’équipe de l’enquête Fecond. « Rester sans enfant : un choix de vie à contre-courant », Population & Sociétés, vol. 508, no. 2, 2014, pp. 1-4.
Debest, Charlotte. «Carrières déviantes. Stratégies et conséquences du choix d’une vie sans enfant», Mouvements, vol. 82,no. 2, 2015, pp. 116-122.
Debest, Charlotte. «Quand les «sans-enfant volontaires» questionnent les rôles parentaux contemporains», Annales de démographie historique, vol. 125, no. 1, 2013, pp. 119-139.

Sources
EmmaTillich, «“Pour mes trente ans je me fais stériliser.” Stérilisées etsans enfant: une utilisation déviante de la contraception?»,dans Ces femmes qui refusent d’enfanter, Maud Navarre et Georges Ubbiali[dir.], Territoires contemporains - nouvelle série [en ligne], 17 décembre 2018, n°10.
Nathalie Bajos, Aline Bohet, Mireille Le Guen, Caroline Moreau et l’équipe Fécond, «La contraception en France: nouveau contexte, nouvelles pratiques ?», Population et Sociétés, n°492, 2012.
Régnier et Loiliera. « Présentation, questionnaire et documentation de l’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi). Version française de l’enquête Generations and Gender Survey (GGS)», 2006, Paris, Ined, Documents de travail, 133.
Sécurité sociale.
Touraille, Priscille. «Du désir de procréer: des cultures plus naturalistes que laNature?», Nouvelles Questions Féministes, vol. vol. 30, no.1, 2011, pp. 52-62.
https://www.un.org/en/development/desa/population/publications/dataset/contraception/wcu2017.asp
