
Conserver ses ovocytes est-il risqué ?
“L'autoconservation est la seule méthode de traitement de l'infertilité, avec le don d'ovocytes, réellement efficace après 40 ans” dit le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF).
« La conservation des ovocytes peut être vue comme une manière de réduire l’infertilité des femmes » confirme le Comité Consultatif National d’Ethique (CCNE), dans son rapport de 2017.
La fertilité féminine chute progressivement à partir de 35 ans (voir l‘article Horloge biologique). La préserver peut donc être considérée comme une action médicale préventive, pour limiter l’une des conséquences du vieillissement physique.
Cette prévention implique malgré tout une opération lourde. Quels sont les risques médicaux qui peuvent survenir au cours de cette procédure ?
Les explications du spécialiste
Pr. Michael Grynberg, Gynécologue Obstétricien, directeur du département de préservation de la fertilité et de la médecine reproductive à l'Hôpital Antoine Béclère.
Les risques médicaux
Il existe un risque d’hyperstimulation ovarienne lors du traitement hormonal préalable à l'opération elle-même.
Une hyperstimulation des ovaires peut entraîner la formation de kystes volumineux, une hypercoagulabilité (excès de coagulation du sang pouvant entraîner des risques d'hémorragie) et des risques de thromboses vasculaires (obstruction d’une veine ou d’une artère par caillot).
Cependant, le dosage du traitement hormonal adapté à chacune s’est affiné et est aujourd’hui bien mieux contrôlé, entre autres grâce au dosage de l’hormone appelée l’AMH.
Une inquiétude qui revient souvent est l'impact du traitement hormonal sur la fertilité future. La réponse médicale est que la stimulation hormonale faite à un moment T n’affecte pas les résultats de stimulations à venir, qu’elles soient naturelles ou médicales. Il n'y a donc pas d'impact sur la fertilité future.
Dans l’ensemble, les risques liés à cette procédure sont en fait équivalents aux risques naturels associés à une grossesse.
Même répétés sur plusieurs opérations, ils sont suffisamment faibles pour être considérés comme "négligeables" en termes médicaux.
Les risques sont rares mais réels et imprévisibles.
A chacune de nous de juger et de choisir en toute connaissance de cause si les bons côtés de l'affaire en valent la chandelle !

Le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) considère que cette intervention n'est pas dangereuse. La faiblesse de ces risques lui permettent d’étiquetter la conservation des ovocytes comme « non malfaisante », conformément aux principes d’éthique médicale.
Il est malgré tout important de mentionner le risque de saute d’humeur et de dépression passagère ressentie par les femmes lorsqu’elles prennent le traitement hormonal. Bien plus fréquent que les conséquences médicales graves mentionnées plus haut, ce risque la est en général peu pris en compte dans le milieu médical.
Un peu de data : les cas de complications médicales rapportées par l’Agence française de la biomédecine en 2015
Sur les 59 766 procédure de prélèvement d’ovocytes qui ont eu lieu en 2015, il y a eu au total 29 cas de complication (7 au moment du traitement hormonal, 22 au moment du prélèvement des ovocytes).
Parmis ces 29 cas de complication, 7 étaient des cas graves (2 cas graves au moment du traitement hormonal, 5 au moment du prélèvement des ovocytes).
=> Soit 0,01% de cas de complication grave en 2015.
Diminution de certains risques
La conservation des ovocytes permet à une femme qui n’aurait pas eu l’opportunité ou la possibilité de réaliser son désir d’enfant à un jeune âge, d’utiliser ses ovocytes conservés plus jeune et d’avoir ainsi une forte chance de tomber enceinte.
Elle aura ainsi quasiment autant de chance de tomber enceinte qu’à l’âge où elle avait fait conserver ses ovocytes.
Pré-éclampsie :
pathologie provoquant l’élévation de la pression artérielle et de la quantité de protéines dans les urines, provoquant un retard de croissance intra-utérin, et touchant 5% des grossesses.
Plus d'infos sur le site de l'INSERM

Cette méthode préventive est donc considérée non seulement « non-malfaisante », mais aussi répondant au principe d’éthique médical de « bienfaisance », c’est-à-dire qu’elle améliore les choses par rapport au procédé naturel.
Comparées aux grossesses naturelles ou par FIV au même âge avec ses propres ovocytes, les femmes qui ont recours à leurs ovocytes conservés plus jeune ont moins de risque d’anomalie chromosomique, et font moins de fausses couches.
C’est aussi plus fiable qu’une grossesse avec un don d’ovocytes tiers, même pour des ovocytes donnés jeunes. Avec ses propres ovocytes conservés jeune, une femme a moins de risque de pré-éclampsie et de retards de croissance intra utérin.
Les risques de sur-médicalisation et d'inutilité
Cette procédure implique de faire subir à des femmes qui n’ont pas de projet d’enfant dans l’immédiat une procédure que seules les femmes qui ont recours à l’AMP ont à subir aujourd’hui. Cela présente beaucoup d’actes médicaux : prises de sang à répétition, échographies endovaginales, injections d’hormones, et opération sous anesthésie.
Opérations à répétitions
Aux alentours de 30 ans, un ovocyte à 4,5 % de chance de donner un bébé. Il faut donc conserver minimum 15 à 20 ovocytes pour avoir une chance raisonnable d’avoir un enfant. Sachant qu’une femme parvient à être prélevée d’en moyenne 10 ovocytes par ponction, les femmes ont donc besoin de répéter la procédure et de faire deux opérations de conservation de leurs ovocytes pour arriver à 15 à 20 ovocytes prélevés.
Cette moyenne est cependant calculée pour des femmes faisant prélever leurs ovocytes relativement “tardivement” au sens biologique du termes. Réalisée avant 30 ans, une opération de conservation à toutes les chances de permettre le prélèvement de suffisamment d’ovocytes en une seule fois.
Actes nombreux, risque de répétition des actes… L’auto-conservation des ovocytes implique une médicalisation accrue de la procréation, lourde pour le corps des femmes. Elle est en plus sans garantie : les données d’aujourd’hui indiquent qu’il y a moins de 60% d’accouchement suite à l’utilisation de ses ovocytes conservés.
Nous qui pensions trouver sur le plan médical des arguments scientifiques indéniables pour se faire un avis tranché.
Que nenni.
Le débat entre médecine préventive et médecine curative est plus sociétal que médical !
Voir aussi l‘article Débat de société autour de la conservation des ovocytes - arguments médico-social


Inutilité
Last but not least, il y a un risque d’inutilité de la procédure. La grande majorité des femmes tomberont d’abord enceinte naturellement, et n’auront donc finalement pas recours à leurs ovocytes préalablement conservés à grands frais.
Mois de 1% des femmes qui ont conservé leurs ovocytes y ont ensuite eu recours d’après les dernières données.
Tous ces chiffres doivent être remis dans leur contexte : la pratique est relativement récente, la demande de conservation a explosé ces 3 dernières années en Europe, et les femmes qui conservent leurs ovocytes le font justement pour y avoir recours dans le futur. Il n’y a donc pas suffisamment de recul pour savoir à quel point les femmes qui conservent leurs ovocytes depuis 4 à 5 ans y auront ou non recours plus tard.
Enjeux du recours à la Fécondation in vitro (FIV)
Pour celles qui souhaiteront avoir recours plus tard à leurs ovocytes conservés, s’ajoutera une procédure de FIV. Il faut donc aussi mentionner la médicalisation supplémentaire et les enjeux liés à la FIV.
Procédure médicale lourde, mais divisée en deux
La FIV implique une procédure médicale lourde.
Cependant, pour celles qui auront recours à leurs ovocytes plus tard, elles n’auront pas besoin de faire une stimulation hormonale en plus du reste de la procédure de FIV, puisqu’elles auront déjà fait la ponction et le prélèvement de leurs ovocytes étant plus jeunes.
Cette partie étant une des plus longues et lourdes de la procédure de FIV, c’est un réel plus de pouvoir diviser cette procédure en deux moments éloignés dans le temps.
Eviter les FIV a répétition
Les femmes qui ne parviennent pas à avoir un enfant ont en général recours à des FIV. Le recours à la FIV se fait tardivement, quand on a déjà essayé naturellement et fait une batterie de tests pour identifier la source du problème.
Faire une FIV avec ses propres ovocytes alors qu’on est déjà « âgée », c’est-à-dire autour de 40 ans, est cependant aussi peu efficace que d’essayer de tomber enceinte naturellement au même âge ! Les femmes se retrouvent donc à faire des FIV à répétition.
le CCNE explique donc que la pratique de conservation des ovocytes “ne nuit ni à autrui, ni à la femme elle-même, puisqu’au contraire elle la protège de tentatives de Fécondation In Vitro (FIV) multiples dont les chances de succès sont de plus en plus faibles avec l’âge”.
> Si les femmes nécessitant une FIV pouvaient recourir à leurs propres ovocytes conservés jeunes, les FIV auraient de bien plus fortes chances de succès dès la première tentative, et n’auraient pas besoin de se multiplier ainsi.
Incertitudes
Hors ce qui est lié directement à la qualité des ovocytes, la FIV implique d’autres risques de complication, comme pour toute opération. Risque d’échec, mais aussi risque de grossesses multiples pas toujours désirées.
Il y a par ailleurs un grand point d’interrogation sur d’éventuelles complications à plus long terme. Certaines études épidémiologiques relèvent une tendance à une augmentation du risque de cancer de l’ovaire et du sein dans certains cas, mais il n’y a aujourd’hui pas suffisamment de recul sur ces pratiques pour en tirer des conclusions.
Souffrances invisibles
Il est important de signaler dans son ensemble la pénibilité physique et morale de la procédure de conservation des ovocytes additionnée à la procédure de FIV future.
Les femmes ont tendance à rester discrètes sur ces souffrances, qui peuvent parfois aller jusqu’à l’humiliation, causée par des traitements à répétition et par un encadrement médical pas toujours très compréhensif.
Une fois enceintes, les femmes ont tendance à oublier volontairement les difficultés traversées pour en arriver là, et n’en parlent pas facilement - de même qu’elles oublient souvent les douleurs naturelles de l’accouchement.
Un article de Marie Reverchon

Sources
Fertility IQ, full MOOC about Egg Freezing, 2020
https://www.fertilityiq.com/egg-freezing/
Comité Consultatif National d’Ethique. Avis 126, 2017.
https://www.ccne-ethique.fr/sites/default/files/publications/ccne_avis_ndeg126_amp_version-def.pdf
Inserm, “Techniques de préservation de la fertilité”.
https://www.inserm.fr/information-en-sante/dossiers-information/techniques-preservation-fertilite
APHP.fr, “Fertilité féminine : les principales techniques“, 2016
https://www.aphp.fr/fertilite-feminine-les-principales-techniques
Michaelgrynberg.com, “Préservation de la fertilité féminine”.
https://www.michaelgrynberg.com/medecine-de-la-reproduction/preservation-de-la-fertilite-feminine/
Fiv.fr, “Hyperstimulation ovarienne : quels sont les risques et peut-on la prévenir ?”
https://www.fiv.fr/hyperstimulation-ovarienne-quels-sont-les-risques-et-peut-on-la-prevenir/
Durif-Varembont, J.-P., & Rosenblum, O. (2018). Extension de l’amp, questions éthiques et cliniques pour notre temps. Trois points de vue. Dialogue, n° 219(1), 91‑110. https://doi.org/10.3917/dia.219.0091
Kuttenn, F. (2019). Autoconservation ovocytaire, thérapeutique, prévention, don, précaution : Quelles indications ? Laennec, Tome 67(3), 18‑33. https://doi.org/10.3917/lae.193.0018
Lafontaine, C. (2019). L’autoconservation des ovocytes. Etudes, Juillet-Août(7), 41‑50. https://doi.org/10.3917/etu.4262.0041
Le Monde, “De nombreux gynécologues contournent la législation sur la congélation des ovocytes”, Dominique Perrin, 2018
