
Conservation des ovocytes pour raison non médicale : le débat
Introduction
Conservation des ovocytes pour raisons personnelles : le débat
La demande
Origine et data de la demande
Débat médico-social
Vaut-il mieux prévenir que guérir ?
Débat féministe
Libération ou contrôle du corps des femmes ?
Autres arguments
De la perturbation temporelle à l‘encouragement du don d‘ovocytes
Débat féministe : Libération ou contrôle du corps des femmes ?
Conserver nos ovocytes est-il un outils de libération du corps des femmes ou au contraire un nouvel outils de contrôle déguisé ?
Libération, autonomie, égalité
Libération
Pour l’anthropologue Françoise Héritier, “la fécondité est le lieu central de la domination masculine. Il s’ensuit que la prise de pouvoir par les femmes du contrôle de leur propre fécondité revient pour elles à sortir du lieu de la domination. Là est le levier d’un changement majeur pour l’humanité”.
La conservation des ovocytes peut être perçue par les femmes comme un nouveau moyen de contrôle de son propre corps. Au même titre que la contraception ou que l’avortement, ce procédé permet aux femmes d’être moins contrainte par la biologie dans leur choix du moment de leur maternité. La contraception et l’avortement empêchent -et permettent donc de retarder- l’âge de la maternité. La conservation des ovocytes peut permettre de le retarder encore plus.
Il y a un siècle, avant la contraception, avant l’avortement, la question du choix ne se posait pas. Au-delà du choix du moment, c’est même la question du désir qui était inexistante. Une femme se mariait, et avait des enfants – ce n’était pas un sujet.
Tant mieux pour celles qui ressentaient un désir d’enfant ! Tant pis pour les autres. Celles qui n’en voulaient pas, mais aussi les indécises, celles qui avaient justement besoin d’un peu de temps…







Principe éthique d’autonomie
Pour les pro-conservation, une question simple se pose : à partir du moment où une femme l’a choisi, au nom de quoi lui refuserait-on de conserver ses ovocytes ?
Conserver ses ovocytes est un choix personnel, qui n’a d’impact sur personne d’autre que soi. Il n’y a aucune raison valable de limiter l’autonomie d’une femme adulte, objectivement informée et consentante.
Ce choix autonome est respecté tant pour les femmes menacées par une insuffisance ovarienne prématurée, que pour les femmes qui ont recours aux autres techniques d’AMP classiques - souvent parce qu’elles ont elles aussi choisi de reculer l’âge de leur grossesse.
Conserver ses ovocytes en prévoyance de son infertilité liée à l’âge découle de la même logique, et le principe éthique d’autonomie devrait être tout autant respecté dans ce cas de figure - sans jugement de ce qui est tout simplement un choix de vie.
Egalité
Les hommes peuvent choisir de faire conserver leur sperme si ils sont dans la démarche d'une vasectomie, elle-même une démarche de confort. Cette pratique est courante et acceptée dans la pratique - on sort donc ici du cadre légal de la conservation des gamètes pour raison médicale, pourtant sensée s'appliquer aux deux sexes. Il peuvent ensuite revenir utiliser leurs spermatozoïdes quand bon leur semble.
Dans un soucis d’égalité de genre, élargir la loi à la conservation de leurs ovocytes pour les femmes semble une étape cohérente.
Ironie du sort, si les femmes font cette démarche de conservation plutôt pour préserver leur fertilité, les hommes font ce choix à l'inverse parce qu’ils veulent être stériles ! - tout en conservant une possibilité d’avoir des enfants génétiquement sien s’ils ont des regrets un jour.
Ce n'est pas une blague.

Par ailleurs, les hommes, grâce à une horloge biologique moins contraignante (mais tout de même pas inexistante), ont une fenêtre de reproduction optimale plus longue que les femmes. Ils ne ressentent donc pas cette pression du temps, et elle influence peu leurs autres choix de vie. Ils la ressentent d’autant moins que, socialement, la paternité tardive est bien plus simple à assumer qu’une maternité tardive (voir l‘article Le genre de la fertilité).
La conservation des ovocytes permettrait donc à certaines femmes de limiter cette pression, et de se sentir plus libres de concilier carrière et projet familial, à égalité avec leur partenaire masculin.
Elargir la loi à la conservation des ovocytes réduirait d’un iota les inégalités de genre qui pulullent. Les salaires, on verra plus tard.

Prince charmant
Cependant, la conservation des ovocytes serait aussi la manifestation d’un fantasme inassouvi. Celui de « trouver le prince charmant.».
Elles en parlent : vécu et ressenti
Podcast réalisé par Lucile Marthe
- Petit extrait en attendant la sortie de l'épisode complet du récit de d'Amélie !
Avec le même partenaire depuis ses 20 ans, devenue mère à 41 ans, Amélie se souvient de ses doutes de jeune fille.
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Les femmes mettent du temps à trouver un partenaire avec qui elles souhaitent avoir des enfants, et vice versa. Dans les années 80, on se mariait vers 25 ans, aujourd’hui, la moyenne tourne plutôt autour de 31 ans. Bien que le mariage ne soit plus aujourd'hui un bon indicateur de l'âge de la mise en couple puisqu'il est loin d'être systématique, il reste un relativement bon indicateur de l'âge du désir de parentalité car c'est un statut légal qui protège bien les enfants et est donc prisé par les "wannabe" parents.
Cette durée se creuse avec le recul global de l’âge de la parentalité et le fait que les hommes ont moins cette pression du temps. Ils n’ont pas besoin et donc pas envie de s’engager, à un âge auquel les femmes ont déjà conscience de l’horloge qui tourne.
Recourir à la conservation des ovocytes devient pour certaines un moyen d’atténuer cette pression, de mener une vie affective et sentimentale plus épanouie, et, ultime espoir, de trouver l’amour.
Très concrètement, il y a cette idée que repousser l'échéance leur permettra de :
1. Prendre le temps de trouver « le bon ».
2. Une fois trouvé, vivre toutes les étapes d’une histoire d’amour sans la pression de passer trop rapidement à l’étape enfants.
Vous savez ce Kevin à qui vous avez proposé d’arrêter la pilule après 3 mois de relation même s’il puait un peu la clope parce que ben à 38 ans vous avez commencé à flipper ? Vous voyiez comment le Kevin il est allé direct s’acheter des cigarettes et n’est jamais revenu ? Bah voilà.
Bon, heureusement ça vous a permis de rencontrer Benji juste après.
D’ailleurs, vous savez ce voyage en amoureux à Venise que vous vouliez faire et n’avez jamais pu faire à cause de l’arrivée du p’tit Benji junior ? Bah re-voilà.

Peut-on parler de libération des femmes si elle asservit par ailleurs un peu plus à la quête d’un homme idéal ?
Outils de contrôle sur le corps des femmes
Boites hypocrites
La conservation des ovocytes peut aussi être détourné en un moyen de pression, et un outils de contrôle des choix des femmes.
En 2014, Facebook et Apple ont inclus la prise en charge d’une partie des frais de la conservation des ovocytes dans la couverture médicale de leurs salariées les plus qualifiées. L’objectif affiché est de préserver la fertilité des femmes qui souhaiteraient poursuivre leur carrière professionnelle sans se préoccuper de leur horloge biologique.
Dans les faits, cela risque de créer une pression invisible supplémentaire sur les salariées, et d’être utilisé pour décourager les femmes d’avoir des enfants « tôt », et donc de prendre des congés maternités par exemple. Si être enceinte dans telle fourchette de temps n’est plus une obligation biologique, ce choix devient un choix sur lesquels l’employeur peut tenter d’exercer une pression, au bénéfice d’une entreprise.
Financer cette pratique ou l’encourager d’une quelconque manière est une façon détournée pour une entreprise de s’immiscer dans la vie privée des femmes et de peser sur leurs décisions.
Ce danger établi, on peut cependant considérer que ce n’est pas aux femmes de renoncer à cette option pour limiter les risques de dérives des entreprises. C’est au contraire aux lois et aux entreprises de s’adapter pour éviter et contrôler ces risques de dérives, et laisser le choix aux femmes d’avoir un enfant quand bon leur semble sans que cela ne pèse sur leur vie professionnelle.
Elles en parlent : vécu et ressenti
Podcast réalisé par Lucile Marthe
- Petit extrait en attendant la sortie de l'épisode complet du récit de Lola !
Lola s'agace et s'interroge : repousser la maternité est-il vraiment un choix dans un monde du travail abusif ?
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« Etre mieux préparé » : détournement du corps comme capital ?
Etre enceinte tardivement permettrait théoriquement d’être « mieux préparé » : un couple stable, un niveau de vie plus confortable, une plus grande maturité…
Mais y-a-t’il vraiment un bon moment pour avoir un enfant ? Un moment « optimal » ?
Rechercher à tout prix de l’efficience dans le fait biologique d’avoir un enfant est une forme de détournement du corps comme capital. Certaines critiques de la conservation des ovocytes démontrent que cette pratique vient d’un modèle ultra-libéral pour qui le corps n’est qu’un support à optimiser.
D’après Lafontaine, “les cycles biologiques des femmes ne sont plus adaptés aux normes de productivité et de performance, tant sur le plan professionnel que personnel ».
L’une des raisons qui pousse les femmes à faire conserver leurs ovocytes est l’incapacité à tout assumer au même moment – le refus d’avoir à devenir des super-women assurant de front vie professionnelle et vie personnelle.
Si une femme décide de reporter sa maternité parce qu’elle est contrainte par une nécessité matérielle ou professionnelle, peut-on parler de choix ? Peut-on parler de liberté ? Dans ces conditions, ne devraient ont pas plutôt modifier les normes de productivité et de performance, plutôt que d’y adapter nos corps ?
Lafontaine (2019) prend l’exemple de publicité d’une clinique québécoise « Vous investissez dans votre maison, votre voiture, même votre vie… Pourquoi ne pas investir dans votre fertilité ? ».
Gloups, il est vrai que ça enlève à la procréation une bonne dose de sa magie…

Une norme sociale est-elle plus difficile à changer qu'une contrainte biologique ? Dans ce cas précis, il semblerait que oui.
Remise en perspective du débat sous l'angle du Choix
La question ici n’est pas de savoir si les raisons qui nous poussent à prendre une décision sont plus ou moins valables, la question est d’avoir le choix.
Il n’y a aucune différence entre les femmes qui font un choix par désir, pour raison professionnelle, pour raison matérielle, ou pour faire plaisir à X. Ce choix est le leur, elles l’ont raisonné. Interdire une des options possible sous prétexte que l’un ou l’autre choix a été fait par une pression de la société, c’est dénier aux femmes leur capacité de raisonnement.
C’est aussi valider ou invalider arbitrairement des types de pressions qui se valent finalement toutes les unes les autres puisqu’elles sont toutes des bases de nos décisions, et nous influencent toutes plus ou moins, en fonction de la société dans laquelle ont vie, de nos caractères, nos modes de vie, notre éducation...
Le vrai choix c’est donc qu’aucune des options sur ce sujet ne nous soit interdite par un élément extérieur à nous. Nous serions alors nous-mêmes seules maîtresses de nos propres pressions, décisions, et interdits.
Pour conclure...
-
Si une femme souhaite avoir des enfants tôt, quelles qu’en soient les raisons, elle doit pouvoir décider de le faire. Sans chantage de son entreprise à recourir à une quelconque autre option, sans risquer une dévalorisation de ses compétences et de sa carrière à son retour si elle souhaite en poursuivre une par la suite. Pour elle, il faut changer les normes de productivité et de performance, la perception des mères dans la société, la place du père. Ainsi, elle aura un vrai choix.
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Si une femme souhaite avoir des enfants tard, quelles qu’en soient les raisons, elle doit pouvoir décider de mettre toutes les chances de son côté en faisant conserver ses ovocytes. Sans avoir à devenir hors la loi, sans risquer une dévalorisation de son image de femme, sans jugement. Pour elle, il faut changer la loi et autoriser la conservation des ovocytes. Ainsi, elle aura un vrai choix.
Introduction
Conservation des ovocytes pour raisons personnelles : le débat
La demande
Origine et data de la demande
Débat médico-social
Vaut-il mieux prévenir que guérir ?
Débat féministe
Libération ou contrôle du corps des femmes ?
Autres arguments
De la perturbation temporelle à l‘encouragement du don d‘ovocytes
